Pdci : Pourquoi Bédié Fait De La Résistance ?

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« La sorcière a crié cette nuit et l’enfant est mort ce matin. Qui contestera que c’est elle qui a tué et mangé l’enfant ? ». Ce proverbe Yorouba que Wole Soyinka aime à citer, s’il est bien scruté et compris, nous renvoie à l’atmosphère politique qui règne, actuellement, au sein du PDCI, avec l’affrontement public, sans pitié, entre le président du parti, Henri Konan Bédié, alias HKB, et le responsable de la jeunesse de ce même parti, Kouadio Konan Bertin, alias KKB. Pour simplifier les choses, disons qu’ici, nous assistons à une lutte frontale entre « le grand sorcier politique » Bédié, et le jeune bébé politique, Kouadio. Mais, très sérieusement, Bédié pourra-t-il dévorer politiquement Kouadio, ce jeune « effronté » ?

Bédié doit savoir que sa succession est ouverte à la tête de la présidence du parti

A l’heure actuelle, rien ne permet de l’affirmer, tellement KKB est rempli de l’ardeur de sa jeunesse, et en analysant ses déclarations fracassantes, HKB semble même devenu son « ennemi politique préféré ». Quel est le crime commis par ce jeune leader du PDCI ? Kouadio Konan Bertin a annoncé, de manière vibrante, sa candidature pour succéder à Henri Konan Bédié à la tête du PDCI et, surtout, pour briguer un mandat présidentiel, comme candidat du parti, en 2015. Avec lui, les choses sont claires et nettes : Bédié doit quitter la scène politique ivoirienne, en prenant une retraite méritée à Daoukro, son village natal.
KKB invoque même les mânes d’Houphouët-Boigny pour légitimer cette ambition politique orageuse : « Je me bats pour le parti de Félix Houphouët-Boigny et, de là où il est, je suis convaincu que j’ai son soutien ». Et, pour bien se démarquer du président du PDCI, il martèle, sans état d’âme : « Je n’ai jamais été Bédiéiste, je suis PDCI-RDA… Personne ne m’a emmené au PDCI, personne ne me chassera du PDCI ». Selon KKB, le Congrès du parti, qui se tiendra en octobre 2013, devra poser les jalons politiques d’ « un PDCI renouvelé, rajeuni pour en faire, à nouveau, un instrument de reconquête du pouvoir d’Etat… Le PDCI doit revenir au pouvoir en 2015 ».
Dans les propos de KKB, on sent la frustration, la rage, l’impatience et le désespoir d’une jeune génération qui semble avoir trop attendu, politiquement, son heure ; une génération désireuse de participer activement à la construction de l’avenir de son pays. En vérité, on assiste à une « guerre » ouverte entre l’ancienne et la jeune garde du PDCI. Cette fissuration du parti d’Houphouët-Boigny, reconnaissons-le, était inévitable, et tout indique qu’elle va encore s’élargir au point d’aboutir à un éclatement du PDCI. Qu’il le veuille ou non, qu’il accepte ou pas, Bédié doit savoir que sa succession est ouverte à la tête de la présidence du parti, un poste politique hautement sensible.

Cela dit, il est juste de rappeler qu’entre Bédié et le PDCI, c’est d’abord un lien affectif, une vieille relation quasi-mystique car, ce parti lui a tout donné. Et, politiquement, sur la scène ivoirienne, Bédié a toujours joui d’une réputation d’enfant gâté. Mais il ne faut pas se tromper sur cet homme. Car, derrière son visage si rond et malicieux, se cache une volonté de fer d’un homme qui considère, après le coup d’Etat du général Gueï qui l’avait chassé du pouvoir et contraint à l’exil européen, qu’il a beaucoup souffert avant de récupérer l’appareil du PDCI. En d’autres termes, Bédié n’est pas loin de se considérer comme le Job de la vie politique ivoirienne. En 2015, Bédié ne veut pas du tout, qu’entre les deux alliés de la famille houphouëtiste, PDCI et RDR, la Côte d’Ivoire redevienne, après sa guerre intérieure, un nouveau champ de « guerre politique ».

Et, par rapport à cette stratégie politique qu’il a choisie, avec lui, toute discussion et tout débat deviennent inutiles. Bédié a pris sa décision et rien ne semble montrer qu’il reviendra en arrière. Mais une telle stratégie ne serait-elle pas, politiquement, suicidaire, voire fatale au PDCI ? Justement, c’est ce que pense le jeune leader KKB, qui n’attend que les mots d’adieu politique de Bédié. Pour lui, le statut quo est insupportable et intenable, même s’il n’ignore pas que Bédié trouve risible qu’il soit si pressé de vouloir lui ravir la présidence du parti.
La situation politique du PDCI est donc déchirante, et elle peut être comparée à une tragédie familiale, où cette famille politique n’est plus soudée et les militants du parti ressentent une certaine tristesse face à cette fracture inter-générationnelle.

L’alternance, tout comme la liberté, est la première condition de l’humanité démocratique

Soulignons que KKB n’est pas un jeune leader politique surgi de nulle part, comme on le voit dans certains pays africains, où des jeunes sont cyniquement manipulés par les régimes en place, lançant souvent des organisations sur commandes, aux dénominations creuses et ronflantes.
KKB connaît bien son pays, son peuple, et il apparaît comme un démocrate sincère et un leader politique pragmatique. Dans son esprit, l’avenir du PDCI et celui de la Côte d’Ivoire sont indissociables. Mais, au-delà du cas ivoirien, il convient de rappeler que, rares sont les dirigeants historiques de partis politiques à avoir réussi à transmettre le flambeau aux jeunes générations.
En vérité, ils n’ont jamais voulu l’alternance au sein du parti, préférant le voir mourir de sa belle mort que d’en assurer la pérennité. Ces dirigeants pensent que le parti leur appartient, donc ils ne veulent pas en céder les rênes, gonflés par un énorme sentiment de puissance « Kimilsunien » (Kim Il Sung ex-dirigeant totalitaire de la Corée du Nord). Chez eux, l’alternance est vécue comme une tragédie morale et politique.

A l’instar des dictatures militaires et des partis uniques, très en vogue sur notre continent après les « indépendances », les dirigeants de partis, pourtant dits démocratiques, veulent rester au pouvoir indéfiniment. C’est pourquoi, souvent, sur notre continent, la dictature finit par répondre au nom de la démocratie. Si l’on refuse de pratiquer l’alternance à la tête de son parti, comment la mettra-t-on en œuvre une fois au sommet de l’Etat ? En vérité, sous nos cieux, on refuse d’admettre que, la dialectique, c’est la « science » de la vie et de la mort, que « tout coule, et tout passe », comme l’enseignait Héraclite l’Ancien. Bédié n’a donc rien à craindre, à condition qu’il se convertisse à cette « science » inédite. Sinon, il finira par rejoindre la longue liste de tous ces dirigeants soi-disant démocrates, devenus, en un laps de temps, des dictateurs paranoïaques. Aucun parti politique africain, aussi dominant soit-il, ne peut pratiquer, comme hier, le lavage de cerveau des citoyens de notre continent, rêvant ainsi d’en faire des zombies politiques.
L’alternance, tout comme la liberté, est la première condition de l’humanité démocratique. Bédié doit en faire un élément fondamental de sa matrice mentale. Ainsi, il pourra, un jour, laisser un héritage politique merveilleux à la Côte d’Ivoire. Comme le dieu Chronos qui dévore tout sur son passage, il ne doit pas travailler à détruire sa propre œuvre politique, le PDCI. Politiquement, à l’heure actuelle, tel doit être son impératif catégorique. Le peuple ivoirien, les militants du PDCI ne sont plus dupes. KKB est loin d’être un « traître » à la cause du PDCI ; au contraire, sa détermination ne fait que servir la cause de la démocratie en Côte d’Ivoire. Les aspirations démocratiques d’un pays doivent se refléter d’abord au sein des partis politiques.

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