L’Afrique Face à La Diagonale Terroriste : Que Faire ? « Comment En Sommes-Nous Arrivés Là En Afrique ? » 1ère Partie

0
3

La tragédie récente de Naïrobi nous donne incontestablement matière à penser. La logique de la terreur, d’aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, est celle de l’instrumentalisation de la peur engendrée par une violence sans bornes pour soumettre les foules au diktat de minorités assoiffées de jouir du pouvoir pour le pouvoir. Terroriser l’Autre, c’est le mettre en demeure de choisir entre la préservation de sa vie biologique et le sacrifice de celle-ci dans une lutte à mort pour sa dignité. C’est imposer à l’Autre, la peur de mourir comme arrière-fond de tous ses actes. C’est faire planer sur des sociétés entières, comme s’y emploient les nébuleuses d’Al-Qaida, de Boko Haram, des Shebab somaliens ou des jihadistes du Nord-Mali, l’épée de Damoclès sempiternelle de la mort violente comme récompense de toute tentative émancipatoire.  Le terrorisme n’est rien d’autre que la propagande politicienne signée par le sang des innocents et la promesse d’un ordre politique qui y fera structurellement et continuellement recours. Qui ne voit pas ainsi qu’au cœur de l’Afrique, la diagonale qui va du nord-ouest de l’Afrique au Sud-Est du Continent se prépare à faire des terres natales de l’homo sapiens, un califat de la peur, un empire de la violence arbitraire, un immense océan de larmes sans fin ? Qu’il se justifie par des raisons politiciennes, religieuses ou économiques, le terrorisme comme pratique et comme théorie, est le refus explicite de la politique au sens noble du terme, c’est-à-dire, de la recherche d’un vivre ensemble dans la liberté, l’égalité et la fraternité humaines. Or l’Afrique, du nord au sud, de l’est à l’ouest, a urgemment besoin de la noblesse du politique. Le quasi milliard d’habitants qu’elle comptera dans les prochaines décennies exige une modernisation tous azimuts des institutions socioéconomiques, politiques, culturelles et surtout spirituelles qui encadrent la marche des peuples de l’ancien continent dans le siècle présent. Pourtant encore, c’est précisément au moment où le besoin d’institutions modernes se fait urgent que surgit, contre toutes les attentes légitimes des peuples et élites démocratiques africains, le coup de semonce de l’archaïsme terroriste, comme une sorte de parenthèse de préhistoire rouverte en plein temps modernes. S’imposent alors, redoutables les questions suivantes : 1) Comment en sommes-nous arrivés à cette incroyable situation ? 2) Que faire maintenant que nous sommes mis en demeure de combattre la Terreur qui s’internationalise au cœur de l’Afrique ? J’essaie dans la présente tribune, d’exposer par anticipation, quelques résultats de mes Méditations sur le terrorisme en Afrique, essai en cours de rédaction qui sera prochainement soumis à l’opinion.

I – Comment en sommes-nous arrivés là en Afrique ?

Il faudrait, à mon sens, se débarrasser au préalable de toutes les mauvaises réponses à cette question. La vulnérabilité géostratégique actuelle de l’Afrique face au terrorisme n’a pas, contrairement à certaines opinions opportunistes en présence, une histoire simplement récente. Le terrorisme ne nous est pas tombé dessus comme une pluie subite de saison sèche équatoriale. Il puise sa force de nuisance dans les faiblesses structurelles africaines et continuera de le faire tant qu’elles persisteront.  En réalité, il y a trois façons fausses d’expliquer la vulnérabilité de l’Afrique au terrorisme : la première relève des théories de la fatalité, qui puisent amplement dans le registre de l’afro-pessimisme ; la seconde relève de la vulgate de l’anticolonialisme dogmatique, qui fait du terrorisme un succédané logique de l’impérialisme occidental ; la troisième relève d’un certain athéisme militant, fortement inspiré par la vision marxiste de la société, qui condamne le terrorisme sur les mêmes bases que la critique marxienne de la religion la disqualifie a priori comme mystification idéologique contre les opprimés. Analysons donc ces fausses représentations du problème, en insistant sur les raisons pour lesquelles elles ne tiennent pas debout. Nous trouverons sans doute ainsi seulement, une genèse plus objective de la vulnérabilité africaine contemporaine au terrorisme.

Pour les amateurs de la thèse afro-pessimiste, l’Afrique n’est pas seulement mal partie. Elle est par essence le continent de la malchance. Bourrée de richesses naturelles, peuplée de sociétés recroquevillées sur l’ethnicité, incapables de se projeter sur l’avenir, prisonnières d’un présent voire d’un passé traditionnels qui ne passent pas, les nations africaines seraient des monuments d’immobilisme historique et politique dont il n’y aurait plus rien à attendre, sinon qu’elles disparaissent à terme dans les flots de la mondialisation et de la globalisation capitalistes. L’afro-pessimisme africain explique dès lors le terrorisme anti-africain et intra-africain contemporain comme l’expression tangible de ce malaise dans la civilisation des Africains, qui la rend allergique aux changements qualitatifs, au développement, à la démocratie représentative, et finalement, à toute forme de modernité envisageable. La terreur en Afrique, répondrait dès lors comme un écho au masochisme africain, cette habitude perpétuelle du malheur qui se traduirait chez les Africains par l’attente permanente d’un Père Noël général qui finalement jamais ne viendra. Qui ne voit pas, sans tomber dans les travers tout aussi pervers d’un afro-optimisme  qui affirmerait tout le contraire de la thèse afro-pessimiste, les limites et abus intrinsèques à la thèse qui explique la vulnérabilité de l’Afrique au terrorisme par la malédiction structurelle du continent noir ? L’argument afro-pessimiste est par essence paresseux, car il n’énonce jamais les auteurs de la malédiction africaine. Il n’établit jamais suffisamment que si les ressources naturelles africaines ne profitent pas équitablement aux peuples africains, c’est pour des raisons historiquement situables, et avec des responsabilités internes et externes tout aussi évidentes. L’afro-pessimisme néglige enfin, un peu trop vite, ce que six décennies d’indépendances ont permis de bâtir à travers le continent, bon an, mal an : des Etats, tout de même fonctionnels pour la plupart, dotés de repères infrastructurels et d’une expérience du gouvernement des hommes et des choses qui ne sont pas rien à l’échelle de l’histoire longue. Des sociétés civiles de plus en plus dynamiques, capables d’absorber et d’utiliser efficacement les moyens de la modernité économique, politique, culturelle, technologique et même spirituelle. Des individualités exceptionnelles, dans les domaines des arts, des sports, des sciences et techniques, et même de la promotion des valeurs de civilisations de portée universelle. Nier tout cela, comme le fait l’afropessimisme, c’est donc se rendre incapable de penser et de panser la terreur qui assaille l’Afrique contemporaine. La lutte contre le terrorisme ne supposera-t-elle pas, un bilan réaliste de la situation contrastée et ambivalente des peuples, nations, Etats et organisations internationales africaines, afin d’opérer par-ci et par-là les réformes ou les révolutions, les ruptures ou les continuités qui s’imposent ?

Refusant les perspectives de lucidité d’un tel bilan contrasté, les anticolonialistes dogmatiques du continent africain nous serinent leur thèse sempiternelle sur les raisons de la vulnérabilité africaine au terrorisme. Globalement, ils imputent la faute à l’Occident impérialiste et capitaliste. Ce serait, nous disent-ils parce que l’Occident, après le ravage esclavagiste et le rapt colonial, n’a pas renoncé à faire de l’Afrique une réserve gratuite de matières premières que les Etats africains ne sont pas structurés, et par conséquent qu’ils sont livrés à la logique du plus fort. Le terrorisme fondamentaliste, finalement, nous disent les anticolonialistes dogmatiques, n’est que la reproduction miniaturisée du geste scandaleux d’accaparement accompli par les Occidentaux en Afrique depuis des siècles par les moyens de l’occupation armée, de l’administration forcée des Africains, de la répression des mouvements indépendantistes africains, et du soutien régulier des grandes puissances occidentales aux dictatures africaines qui garantissent, cela est connu de longue date, l’approvisionnement gratuit des économies occidentales en matières premières de haute portée stratégique. Ce raisonnement n’a-t-il pas, comme toute analyse marxiste de l’exploitation de l’homme par l’homme, le mérite d’une circularité et d’une cohérence qui semblent imparables ? Il ne faudrait pas s’en laisser abuser, car le fonds négligé de l’affaire est ailleurs : la lutte contre le terrorisme en Afrique ne saurait se passer d’un anticolonialisme critique, qui prendrait acte de la situation postcoloniale de responsabilité inexcusable des Etats et Nations africains dans leur histoire. Le commencement authentique de l’émancipation des individus comme des peuples est aussi, voire d’abord une décision libre et radicale de la volonté d’affronter le destin. En effet, malgré les relations de dépendance économique et stratégiques demeurées très importantes entre les Etats africains et leurs anciennes métropoles coloniales, la responsabilité des Africains dans les six dernières décennies de leur histoire est fortement engagées. Les détournements de fonds publics, les pratiques génocidaires, le refus de promouvoir la démocratie au cœur des institutions africaines, le refus de prendre résolument en charge les défis de l’industrialisation écologique, de l’égalité des sexes, de l’inclusion des apatrides, de l’intégration régionale voire continentale, de la lutte commune contre la misère, contre les pandémies et les épidémies, toutes ces tares de la politique africaine sont des gestes volontaires de coteries de l’élite africaine qui savent que la modernisation du continent les emporterait dans l’oubli. Le pouvoir actuel de la Terreur n’est-il pas exploité, par de nombreuses élites africaines, comme un alibi pour justifier la persistance de pouvoirs arbitraires aux sommets des Etats ? N’est-ce pas, en pareille situation, l’absence de démocratie, la fragilité de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance en Afrique, qui sont les compagnons attitrés de la prolifération des nébuleuses terroristes ? Comment oublier que c’est dans la faille inespérée de la pauvreté organisée des Africains par les Africains que l’humanitarisme salafiste s’est engouffré pour faire de nos faiblesses infrastructurelles, sa force superstructurelle ?

 Enfin, on a voulu se débarrasser du terrorisme fondamentaliste en même temps que de la religion. Une vision gauchiste de la situation africaine contemporaine trouve ici son sillon fécond. Ne suffirait-il pas d’expliquer le lien de nécessité qu’il y aurait entre l’affirmation que la vie humaine sera meilleure après la mort et l’exploitation cynique des masses appauvries d’Afrique pendant leur existence ici-bas ? Il n’est pas inutile de citer à nouveau Marx et Engels, à l’origine de la thèse que reprennent allègrement nos gauchistes africains :

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. »[1]

Imparable démonstration de la vacuité de l’expérience religieuse ? On serait tenté d’y souscrire, tellement elle paraît couler de source ! L’Afrique contemporaine doit pourtant s’en méfier autant que du dogmatisme fondamentaliste. Réduire, comme le font ici Marx et Engels, la religion au déguisement symbolique de l’exploitation des masses exploitées, c’est en réalité jeter le bébé et l’eau du bain. Certes, nos deux penseurs allemands eurent raison de pointer, sur la base de l’expérience récurrente de la collusion des forces d’exploitation politico-économique et des institutions religieuses à travers l’histoire, l’impact négatif du prosélytisme religieux sur les luttes émancipatoires de nombreuses sociétés. Mais, il importe au plus haut point de signaler que si cette complicité criminelle du religieux et du politique  mérite, hier comme aujourd’hui d’être combattue, il ne faudrait pas en déduire que la portée sociale de la religion s’y épuise nécessairement. Une critique[2] des expériences religieuses africaines aboutirait-elle nécessairement à leur récusation totale et radicale ? Loin s’en faut. L’expérience de l’engagement des religions pour la construction effective de la paix civile, dans la solidarité désintéressée envers les pauvres de tous pays, dans l’avènement d’une civilisation universelle de la non-violence, dans leur dévouement dans la lutte contre la misère et la dévastation écologique de la planète, plaide aussi pour un bilan objectivement mitigé, en tout cas contrasté du phénomène religieux à travers l’histoire. Comme nous l’ont montré les expériences de l’incorporation du christianisme en Afrique, ou celles des théologies de la libération en Amérique latine, sans oublier la belle histoire de la résistance spirituelle du bouddhisme tibétain ou l’engagement des justes de toutes religions contre l’extermination des Juifs lors de la deuxième guerre mondiale, la religion, sainement pratiquée comme quête sincère d’un vivre-ensemble harmonieux avec tous les autres humains, est une force d’utopie non-négligeable dans la construction de nos sociétés contemporaines. Utopie qui signifie ici, au sens d’Ernst Bloch[3] notamment,  construction de la cité sur des valeurs testées et attestées comme promotrices d’un avenir  continuellement fécond pour les nouveaux-nés. Du coup, la lutte contre le terrorisme fondamentaliste en Afrique ne suppose-t-elle pas la défense des forces positives d’utopie dont les pratiques religieuses compatibles avec la consolidation des cités démocratiques sont porteuses ?

Tel est  le paradoxe qu’explorera la deuxième partie de la présente tribune : il s’agira de montrer que pour sauver l’Afrique contre le terrorisme, il importe tout autant de consolider la démocratie que de défendre la valeur utopique des religions à travers le continent.

D’où  le sous- titre de la 2ème partie que nous annonçons : « Consolider la démocratie et sauver les religions en Afrique ».

[1] Karl Marx & Friedrich Engels, Critique de la philosophie du droite de Hegel, 1843, trad. M. Simon-Aubier, 1971, PP. 51-53

[2] Le philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga en esquisse une dans son ouvrage Christianisme sans fétiche,  Révélation et domination, Paris, Présence Africaine, 1981

[3] E. Bloch, Le principe espérance (3 vol.), Gallimard, Paris, 1977, et L’Athéisme dans le christianisme, Gallimard, Paris, 1978.

Auteur :

Source :

Commentaires facebook

Mettez votre commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here