L’équation Psychologique De Guillaume Soro Dans Le Triomphe Des Eléphants de Côte d’Ivoire

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La terre d’Afrique a tremblé de ferveur dimanche 8 février 2015, sous les pas majestueux des  pachydermes footballistiques ivoiriens. Du Cap au Caire, de Nairobi à Abidjan, l’Afrique ré-enchantée découvrait les nouveaux détenteurs de son plus prestigieux trophée sportif. Euphorie. Jubilation. Doux délires au coeur de la Côte d’Ivoire portée au paroxysme de sa visibilité africaine et mondiale par les grâces du sport! Le Chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, a amplement de quoi remplir l’escarcelle symbolique de son premier mandat à la tête de ce beau pays! Les Eléphants de Côte d’Ivoire, comme en 1992,  solides face aux Fennecs d’Algérie, après une victoire historique contre le Cameroun, puis le survol de l’équipe du Congo démocratique, viennent de ravir aux Blacks Stars du Ghana, une autre occasion de remplir les rues d’Accra de l’inextinguible joie des victoires. Solennelle, parfois tragique, la loi du jeu a tranché. Une fois de plus. Dure réalité pour les uns, apothéose pour les autres, cycle suggéré par cette rondeur du ballon qui rappelle quelquefois la circularité de la fatalité. Qui n’a pas été ému, pendant que les Ivoiriens étaient aux anges, devant les larmes interminables et défaites du meneur de jeu inconsolable des Black Stars, André Ayew, comme sonné par la malédiction qui frappa par le passé, encore aux penalties, son propre père Abédi Pélé et ses coéquipiers ghanéens  d’alors? Dans une finale  où le mano a mano s’est poursuivi en nombres de frappes au but, de centres, de tirs contrés et de duels gagnés, la Côte d’Ivoire, finalement, a triomphé avec une exceptionnelle baraka, d’un adversaire véritablement coriace, qui n’a jamais démérité, tout au long de la partie. Il est indéniable, le mérite des joueurs d’Hervé Renard , dont le nom connote autant la ruse que la pugnacité. Les Eléphants version Renard auront montré tout au long de cette compétition des qualités athlétiques, tactiques, stratégiques et psychologiques qu’on avait fini par leur dénier à forces d’expériences non concluantes. Des spécialistes de la technique du football ne sont-ils pas en parler mieux que moi? Je n’en doute pas. Je voudrais  cependant consacrer la présente tribune, non pas à une théorie du football pragmatique que les joueurs ivoiriens auront déployé pendant la coupe d’Afrique des Nations 2015, mais à comprendre le contexte de cette CAN 2015, puis le rôle du Chef du Parlement Ivoirien, représentant le Chef de l’Etat ivoirien en Guinée Equatoriale,  dans l’oeuvre sportive monumentale ainsi accomplie . Pour cela, il me semble qu’il est nécessaire de restituer au préalable le contexte sociopolitique de la CAN 2015, les tensions internes du football ivoirien et sa nouvelle détente, afin de pénétrer dans l’économie de l’équation-Guillaume-Soro dans ce succès ivoirien exemplairement collectif.

IDu contexte sociopolitique de la CAN 2015

Il faut une langue de bois infinie pour nier que dans tous les pays africains contemporains, la Coupe d’Afrique des Nations de Football, loin d’être seulement une compétition sportive, est aussi une aire de communication sociopolitique. Dans tous les pays où elle a lieu, la CAN est l’occasion pour les groupes politiques rivaux de faire valoir leurs divergences sur la gestion du mouvement sportif national, voire sur la gouvernance de la totalité du pays, tout en évitant de se mettre à dos une opinion publique bien souvent encline à converger vers une célébration euphorique du Onze National, par patriotisme de principe. Bien sûr, il conviendra de bien souligner au passage que les conflits politiques autour de la gestion du sport et de la gestion du pays ne sont pas tous illégitimes à travers le continent noir. Dans des Etats où la corruption est de règle, où l’amateurisme préside à la gestion des choses et des hommes, les déboires du Football sont de véritables reflets d’une crise de société chronique, que seule la démocratisation réelle viendra traiter. Mais dans les Etats en réelle émergence démocratique, il va de soi que l’instrumentalisation du sport-roi relève de l’opportunisme abscons, et les limites d’une opposition politique qui fait feu de tout bois ne manquent pas.

La Côte d’Ivoire aura-t-elle échappé à cette constante africaine de l’instrumentalisation opportuniste du mouvement sportif ? Que nenni. Dès la CAN 2013, le régime du président Alassane Ouattara a vu une partie de ses opposants s’emparer des échecs des Eléphants en phase finale de la coupe d’Afrique comme de bâtons pour battre les tenants du pouvoir: ces échecs, arguait-on, étaient dus à l’absence d’unité du pays. Si les Eléphants devenaient à force de défaites « une génération maudite », c’était, ajoutait-on en raison des tragédies connues dans le pays, qui faisaient que les contradictions politiques nationales aient leurs équivalents stricts dans l’équipe nationale ivoirienne. Certains allaient même jusqu’à faire équivaloir le FPI de Laurent Gbagbo, originaire de l’ethnie bété, à l’ex-capitaine des Eléphants, la grande star Didier Drogba, lui aussi bété;  tandis que le RDR d’Alassane Ouattara, de l’ethnie dioula, aurait pour tête de proue le quadruple ballon d’or africain, Yaya Touré, actuel capitaine de l’équipe nationale ivoirienne, lui aussi dioula

Autant dire que c’est le mythe d’une équipe nationale de Côte d’Ivoire clivée par un conflit ethnopolitique qui vient de s’effondrer.  Au grand dam de certains aigris de la dernière crise postélectorale ivoirienne et de la vieille garde réactionnaire de l’ivoirité. Les Kopa Barry, Gbohouo, Tallo, Bailly, Bony, Touré, Serey Dié, Aurié, Doumbia, Kalou et compagnie auront montré en Guinée Equatoriale qu’il existe encore des citoyens en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire des personnes humaines assez raisonnables pour ne pas se laisser enfermer dans les classifications accidentelles de l’existence sociale. Des personnes capables de se hisser à la conscience de l’intérêt général et de servir la cause de tous comme un seul homme. De telle sorte que cette victoire des Eléphants en Guinée Equatoriale retentit- hélas- comme un camouflet pour les oiseaux de mauvais augure de tous poils, ces Ivoiriens du camp de la réaction, qui en étaient venus à souhaiter plein échec à leur équipe nationale pour servir leur ivoiro-pessimisme ravageur. 

II Tensions et renouvellements internes du football ivoirien

Faut-il aller jusqu’à dire, dès lors, que cette victoire mémorable sort complètement le sport-roi ivoirien des longues années de disettes qu’il aura connues? Faudrait-il accorder un certificat de guérison complète au mouvement sportif ivoirien dans son ensemble? Un tel satisfecit, c’est évident, irait trop vite en besogne. On sait en effet que l’ensemble du mouvement sportif ivoirien est en reconstruction patiente, des infrastructures matérielles aux pratiques institutionnelles. Le ministre de la jeunesse et des sports, Alain Lobognon, n’a pas manqué souvent, avec la franchise et l’aplomb qu’on lui connaît, d’appeler un chat un chat quand il le fallait, et même aux prix de nombreux cris d’orfraie ou de réflexes corporatistes.  On ne saurait de même manquer de souligner, sous les présidences de Jacques Anouma comme de Sidy Diallo, les réformes structurelles du football ivoirien, dont tous les succès engrangés depuis lors constituent d’indiscutables couronnements. Et il faudrait, enfin, être bien sourd pour nier que l’entente est loin d’être parfaite entre tous les acteurs du sport ivoirien, comme en témoignent par exemple les divergences de vues récentes entre le ministère des sports et la fédération ivoirienne de football sur le volume de financement de la campagne 2015 des Eléphants de football. L’absence de problèmes n’est pas forcément signe de bon santé d’un système. 

Ces difficultés opérationnelles n’occulteront cependant point un fait. L’effort de professionnalisme dans la gestion du sport ivoirien est plusieurs égards exemplaire à travers toute l’Afrique francophone. L’engagement monumental du chef de l’Etat ivoirien dans le financement de l’Equipe Nationale s’accompagne d’une exigence de transparence exemplaire, si on la compare, à titre d’exemple fâcheux, au flou calamiteux de la gestion du football camerounais. Les Ivoiriens auront réussi à nous épargner le triste spectacle d’équipes désarticulées par des querelles internes, paralysées par la corruption rampante de dirigeants qui ne rêvent que de s’enrichir à la moindre occasion de faire main basse sur les budgets spéciaux mobilisés en ces fastueuses occasions.

Mieux encore, sur le plan strictement footballistique, voici une équipe que peu de spécialistes attitrés du foot africain contemporain voyaient en finale. Renouvelée à près de 80%, elle semblait vulnérable comme la tendre vingtaine d’années de la plupart de ses joueurs. N’était-ce pas oublier qu’Hervé Renard arrivait en Côte d’Ivoire en un temps où ce pays avait besoin d’un puissant électrochoc d’espoir? les tragédies de la guerre civile, de la crise postélectorale et la dramatique de la réconciliation nationale toujours inachevée mettaient en demeure les Ivoiriens de trouver une bouée d’espérance, une perspective unificatrice et galvanisante. Le succès des Eléphants de Côte d’Ivoire peut-il se comprendre sans la formidable équation psychologique qui leur a permis d’aller chercher jusqu’au fond de leurs tripes l’énergie nécessaire aux grandes confrontations footballistiques qui les attendaient?  Et c’est ici que l’entrée en scène du président de l’Assemblée Nationale, Guillaume Kigbafori Soro, vaut tout son pesant d’or dans la résilience mentale des jeunes joueurs ivoiriens.

IIILa variable Guillaume Soro dans la résilience psychologique des Eléphants de Côte d’Ivoire

D’où peut provenir, dans une équipe de jeunes joueurs, inexpérimentés mais volontaires et doués, la force mentale nécessaire pour affronter des adversaires rodés et durs à cuire? Certains spéculeront sur la place de la chance dans tous les jeux. Ce serait trop facile. Je ferai plutôt l’hypothèse que pour qu’un groupe de personnes inexpérimentées soient galvanisées à bloc comme l’était la Côte d’Ivoire, elles se doivent de bénéficier d’un encadrement technique, mais aussi psychologique de haute valeur. De quoi le psychisme des Eléphants a-t-il donc été nourri à Bâta comme à Malabo? Il serait malséant ici de sauter le rôle de l’équipe d’entraîneurs rassemblés par Hervé Renard. Victorieux en finale contre la Côte d’Ivoire en 2012 quand il entraînait la Zambie, la venue du technicien français à Abidjan augurait de la conquête puissante du sport ivoirien sur le continent africain. Embaucher le coach qui vous a battu, c’est en effet faire acte d’humilité et de compétence. Humilité, au sens où vous reconnaissez avec fair-play que vous avez rencontré meilleur que vous et qu’il vaut mieux se mettre à son école si vous espérez de substantiels progrès. Compétence au sens où vous comprenez que la victoire, loin d’être une rosée qui vous tombe du ciel sans crier gare, se prépare assidûment et rigoureusement. 

Mais il y a bien plus! Pour consolider la résilience sportive des Eléphants, il leur fallait une figure qui incarnât la plus haute confiance de leur peuple à leur talent. Autant dire tout de suite que peu de candidats, venus de la classe politique ivoirienne, tous bords confondus, se bousculaient vers l’engagement autour de l’équipe nationale en Guinée Equatoriale. Les hommes et les femmes politiques ivoiriens n’avaient-ils pas presque tout à perdre en prenant le risque de porter le crucifix d’une épopée footballistique foireuse? De si jeunes joueurs et une équipe ainsi remuée de fond en comble, qualifiée au forceps à la CAN 2015, n’étaient-ils pas un mauvais pari à tous points de vue? En les soutenant ouvertement, on risquait d’être co-responsable de leur défaite. On risquait même de servir de bouc-émissaire à leurs déboires. N’est-ce pas cette prudence qui aura commandé le soutien distant de la classe politique ivoirienne aux Eléphants? Certes, l’expérience récente de 2012 hantait encore les mémoires politiques ivoiriennes, et seuls des masochistes semblaient pouvoir se livrer encore à l’atroce suspense d’une finale allant aux prolongations et s’achevant, comme en 1992, mais aussi comme en 2012, par une douloureuse et angoissante séance de penalties. Les Eléphants de Côte d’Ivoire avaient donc, dès le premier match, le soutien de principe de l’ensemble de la classe politique, mais aucune personnalité de premier rang à Malabo pour leur apporter un soutien de fait. Le Chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, premier et ardent supporter des Eléphants, avait lui-même choisi de ne pas leur mettre inutilement la pression par une présence qu’il estimait de nature à les surcharger psychologiquement. Mais bien avisé, le président ivoirien se ferait utilement représenter auprès des jeunes, par son joker.

C’est ainsi que s’est levée vers les Eléphants la main secourable du président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Kigbafori Soro. Représentant du peuple assemblé comme peuple, Guillaume Soro était en tant que tel, le douzième homme dont l’équipe des Eléphants de Côte d’Ivoire avait besoin. A quarante deux ans bien sonnés, le chef du parlement ivoirien connaît encore intimement l’ensemble des jeunes générations de Côte d’Ivoire, avec lesquelles il est lié par l’expérience syndicale, par l’engagement politique contre la peste ivoiritaire, et par le partage de nombreuses affinités de type esthétique. La présence de Guillaume Soro avait donc l’avantage de ne pas mettre la pression sur les Enfants, mais simplement d’être la compagnie rassurante d’un grand frère. Par ailleurs, Guillaume Soro, ce n’est un secret pour personne, incarne à merveille l’audace de la jeunesse ivoirienne contemporaine. Premier ministre à trente cinq ans, président de l’Assemblée Nationale à quarante, acteur majeur du processus démocratique ivoirien, son parcours est l’exemplarité même de l’adage qui veut qu’impossible n’est pas ivoirien. Le phénomène Soro, c’est l’incarnation personnifiée du mythe du jeune homme capable. Qui niera que c’est d’une telle expérience psychologique que les Eléphants avaient besoin pour compléter leur préparation tactique, stratégique et mentale?

La présence de Guillaume Soro aux côtés des Eléphants rompait enfin la distance prudente que la classe politique observait envers leurs performances. Homme-pont par excellence, il a rétabli le lien fusionnel entre l’Etat et les Eléphants, entre le peuple et ses enfants. Ses conseils, sa calme assurance face aux pires dangers, sont connus de tous ceux qui l’ont de près ou de loin pratiqué. Qui niera que les qualités morales du guerrier aient  servi à métamorphoser les jeunes face aux Fennecs d’Algérie, aux Lions du Cameroun, aux Léopards du Congo RDC ou enfin aux Blacks Stars du Ghana? Qui niera que la présence de l’enfant terrible de la politique ivoirienne aux côtés des jeunes joueurs ait contribué à les aguerrir et à les rendre indociles aux quolibets fusant de toutes parts de l’opinion contre les Eléphants? J’illustrerai , à titre d’exemple, ce point par la formidable présence des réseaux sociaux de Guillaume Soro dans la guerre psychologique contre les différents adversaires des Ivoiriens. Guillaume Soro était au front de l’opinion pour obtenir un soutien maximal pour cette équipe quelque peu esseulée. Calmant par-ci les ardeurs intransigeantes de certains supporters ivoiriens qui sommaient les Eléphants de réussir ou de périr, le député de Ferkéssédougou rassurait par-là l’équipe, de jour en jour, sur l’attachement du peuple à sa formidable aventure. Pendant que le président du Congo RDC, le Général Joseph Kabila, clamait haut et fort que le léopard mangerait de l’Eléphant, le « Général » Bogota rappelait sur sa page twitter, non sans un humour teinté de finesse: « Ce sont même les léopards que je cherche », quelque temps après que les Eléphants aient étrillé le Congo RDC par trois buts à un. 

Nuit et jour, aux côtés des Eléphants, à compter de la deuxième journée de poule de la CAN 2015, Guillaume Soro aura veillé auprès des Eléphants avec la même solidarité que lors de ses campagnes militaires glorieuses des années 2002 à 2011. Près des hommes, partageant leur menu quotidien et leurs angoisses, il avait compris que les jeunes joueurs n’avaient jamais eu autant besoin de leur pays que dans cette épreuve redoutable. Il leur a ainsi apporté le meilleur de lui-même: la lucidité, la combativité, l’humilité, et l’audace de vaincre.

Est-ce à dire que les Ivoiriens doivent la CAN 2015 à Guillaume Soro? Non, bien sûr, comme l’a rappelé Guillaume Soro lui-même, refusant de descendre dès le lundi 9 février 2015 avec les Eléphants dans l’apothéose surchauffée de l’Abidjan des grands jours. Il ne s’agira surtout pas de s’arroger une victoire, dans laquelle chaque soutien aura compté. Guillaume Soro, rappelant sa vocation à servir son pays, nous aura offert ici encore une leçon de modestie trempée dans son caractère cohérent.  Tout le mérite revient d’abord aux joueurs, et au Capitaine des capitaines ivoiriens, le président Alassane Ouattara, qui, on l’a montré, aura misé comme  personne après le président Félix Houphouët-Boigny sur la symbolique de cette équipe nationale. Mais peut-être faut-il ajouter maintenant que le président Alassane Ouattara a un mérite supplémentaire: celui d’être resté, à travers son fils politique Guillaume Soro, au plus près des Eléphants de Côte d’Ivoire dans leur glorieuse épopée équato-guinéenne. Dont acte.

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie

Paris, France

 

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