La diplomatie franco-africaine en péril: réflexions sur l’incroyable mépris de la juge française Sabine Khéris envers la république de Côte d’Ivoire

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1ère partie, « La doctrine Khéris sur la politique ivoirienne »

Prolégomènes sur notre époque: la nouvelle sorcellerie technologico-juridico- médiatique et ses arcanes impitoyables

Dans un monde où les contacts entre individus et entre peuples se sont accélérés avec le progrès des systèmes de communication et de visibilité réciproque, il va de soi que les relations internationales sortent des arcanes feutrés de la diplomatie de salon pour obéir, entre autres nouveaux paramètres,  aux exigences contraignantes de la respectabilité publique, qui renforcent désormais la diplomatie médiatique aux premières loges de l’opinion.  Prenons-en utilement acte. Le temps politique s’est autrement accéléré. Les maximes bouddhistes ou hindoues sur les vertus du silence ou les proverbes bien connus sur la sérénité du caravanier devant le chien qui aboie cessent de suffire en politique.  On peut faire ou défaire une réputation en un seul et bon lynchage médiatique. Ce que de nombreux siècles de querelles par livres, journaux et générations d’amateurs de diatribes ne parvenaient point à régler autrefois s’achève aujourd’hui en un click, en un scandale préfabriqué, en un montage sonore ou en une journée d’horreur médiatique bien rafistolée. Ce siècle sera celui de la vulgarisation de la peine de mort médiatique des démunis face aux puissants.  J’appelle « nouvelle sorcellerie juridico-technologico-médiatique », l’art nouveau de tenter de vaincre politiquement sans péril, en procédant à l’immolation de l’image de l’Autre, avant de le livrer à la vindicte d’une opinion préparée pour son élimination judiciaire, sociale, économique, politique ou tout simplement physique. Les anciens Africains et les Indiens d’Amérique redoutaient déjà les voleurs d’âmes, paparazzi des temps jadis. Ils sont de retour, les voleurs d’âmes, avec leurs bandes sonores, leurs effets de manche, leurs tribunaux médiatiques et leurs hordes incultes assoiffées de sang politique frais…

La non-reconnaissance de la dignité d’une personnalité publique irradie dès lors comme une bombe à fragmentation psychologique, morale et idéologique sur l’ensemble des citoyens, peuples et générations qui se reconnaissent en son engagement politique. Pourtant, comment cesser d’être humains, dans ce monde en folie? Comment abdiquer les plus essentiels combats de notre époque contre la misère, l’injustice et la domination abjectes? La dignité des personnes et des peuples devient un gigantesque combat quotidien, une lutte sans merci pour la reconnaissance où la moindre négligence se paie d’infinis regrets. De la communication politique intermittente, notre époque a désormais basculé dans la communication poliique permanente. 

Quelle conséquence sur la structure morale de la nouvelle société globale? L’égalisation progressive des conditions d’interaction communicationnelle entre les individus sur la planète génère un nouveau paradigme moral universel: la reconnaissance mutuelle est la condition de la paix et de la prospérité à l’échelle mondiale. Les raisons de vivre et de mourir transitent aussi désormais par la défense de l’image de soi. Si la dignité n’a pas de prix, celui qui veut agir politiquement doit donc s’imposer de défendre la sienne, vingt quatre heures sur vingt quatre, contre une adversité qui elle-même déploie un rouleau compresseur sans répit pour l’annihilation de ses droits réels ou imaginaires. Un philosophe allemand contemporain,  Axel Honneth,  développe justement dans son ouvrage, La société du mépris, une thèse fondamentale sur la condescendance politique des puissants, qui peut en exergue de la présente réflexion, servir d’ouverture de débat. Axel Honneth écrit, si bien à propos: 

« Le coeur normatif de ces idées de la justice est toujours constitué par les attentes liées au respect de la dignité, de l’honneur ou de l’intégrité propres. (…) En effet, les sujets se rencontrent dans l’horizon d’une attente réciproque, d’être reconnus à la fois en tant que personnes morales et pour les prestations sociales qu’ils accomplissent. (…) Lorsque ces conditions sont violées et que l’on refuse à une personne la reconnaissance qu’elle mérite, elle y réagit en règle générale par des sentiments moraux qui accompagnent l’expérience du mépris, et donc par la honte, la colère ou l’indignation. » ( Axel Honneth: 2006: 192-193) 

Mais paradoxalement, le monde a donc beau changer, les attentes fondamentales des personnes humaines tournent autour du même noyau de valeurs éternelles. N’est-ce pas précisément ce coeur normatif du monde globalisé – où chacun est témoin et garant de tous-  que les menées de la juge française Sabine Khéris contre le président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire viennent mettre violemment en cause? Se reportant au monde de la colonie, où le droit africain était vassalisé par le droit colonial français, britannique, allemand, portugais, espagnol ou italien, la juge Sabine Kheris ne se trompe-t-elle pas gravement d’époque, si elle ne s’est pas pénétrée de l’universalisation en cours de la norme de dignité réciproquement reconnue de tous les êtres humains pour tous les êtres humains?  

La présente analyse voudrait s’emparer réflexivement de la démarche entreprise depuis 2014 par la juge française Sabine Kheris, répondant aux réquisitions du citoyen franco-ivoirien Michel Gbagbo contre la deuxième personnalité de la république de Côte d’Ivoire, pour montrer que: 1) L’outrage commis le 5 décembre 2015 par l’acte de délivrance d’un mandat d’amener de cette juge française contre le président Guillaume Soro relève bel et bien d’une compréhension biaisée de l’histoire politique ivoirienne, au moins depuis 1993; 2) La démarche judiciaire de la juge Kheris contre le président Guillaume Soro souscrit parfaitement aux maximes de la politique du mépris qui met actuellement le feu sur les cinq continents de notre planète et qui ne peut que faire long feu devant l’étendue de ses conséquences néfastes; 3) La volonté manifeste d’influencer par des décisions de la justice française le cours des événements politiques dans la Côte d’Ivoire future est une grave menace à la qualité des relations diplomatiques franco-africaines, ou pour le dire autrement, une manière bien inconséquente de gâcher les derniers réseaux diplomatiques de sympathie de la France dans le continent noir.  On comprendra que la présente série de réflexions en trois parties se conçoive dès lors comme une sonnette d’alarme adressée aux décideurs et peuples français et africains. 

1. La doctrine de la juge française Sabine  Kheris sur la Côte d’Ivoire: un contresens historique scandaleux sur la légalité et la légitimité politiques du régime du président Alassane Ouattara

1. Michel Gbagbo, élite éminente de la galaxie dite patriotique qui tenait la rue en otage, citoyen  ivoirien de notoriété publique,  a été arrêté par les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire à Abidjan le 11 avril 2011, dans le cadre de ses activités politiques solidaires du régime du Front Populaire Ivoirien dirigé par son père et mentor, le président Laurent Gbagbo. Au 3 décembre 2010, en effet, Laurent Gbagbo devait céder le pouvoir d’Etat, après sa défaite annoncée par la Commission Electorale Indépendante et certifiée par l’Organisation des Nations Unies, institution hautement garante du processus électoral ivoirien issu de l’Accord de Paix de Ouagadougou conclu en mars 2007 entre les forces politiques ivoiriennes belligérantes. Refusant de reconnaître sa défaite évidente devant l’alliance du RHDP, Laurent Gbagbo s’est engagé dans une guerre sanglante contre les populations civiles de Côte d’Ivoire et contre le gouvernement légal et légitime du président élu Alassane Ouattara. Solidaire de cette atteinte ignominieuse à la souveraineté du peuple ivoirien, M. Michel Gbagbo a persisté à soutenir les milices, les dérives idéologisantes et les crimes perpétrés pendant de longs mois par l’engeance du Front Populaire Ivoirien. Lors donc que les forces rebelles de Laurent Gbagbo sont vaincues le 11 avril 2011, après une crise fratricide qui coûte près de trois mille vies à la Côte d’Ivoire, il va de soi que les dignitaires du régime, dont les vies ont été préservées gracieusement par les forces ivoiriennes légales et légitimes, soient pris en charge par les institutions sécuritaires du pays afin d’être protégés de la vindicte populaire, mais aussi d’être ensuite jugés et confrontés à l’ampleur tragique de leur forfaiture. C’est ainsi qu’aux côtés d’autres dignitaires du régime, Michel Gbagbo est sécurisé et transféré à la prison de Bouna dans son pays, où il séjournera dans des conditions carcérales convenables et aisées à reconstituer. Sorti de prison par une décision de libération provisoire de la justice ivoirienne qui n’en omet pas moins ses graves torts dans la crise ivoirienne, Michel Gbagbo, dans un comble d’ingratitude, portera plainte contre X devant la justice française, par plusieurs fois, avant de trouver écho favorable auprès d’une juge manifestement intéressée par l’humiliation des autorités politiques africaines, Madame Sabine Kheris. 

Une juge immergée dans tous les soupçons…

Qui est Madame Khéris? Une juge, sans nul doute, qui aime le pouvoir que son statut lui confère sur les justiciables de son pays et d’ailleurs. Une juge souvent en première ligne dans les tentatives de vassalisation judiciaire des Etats africains par les tribunaux français. C’est elle qui a voulu se saisir d’un haut fonctionnaire des Services de Sécurité du Maroc, au grand dam des autorités de ce pays, qui l’ont contrainte à reculer. C’est encore elle, madame Khéris, qui semble avoir pris un malin plaisir à traquer un haut-fonctionnaire du gouvernement gabonais, au mépris de son immunité diplomatique en France. Trop sûre d’elle-même, elle verrait bien, se dit-il, des anciens et nouveaux chefs d’Etat d’Europe et du monde entier s’aligner tout tremblants devant son prétoire.  De telle sorte qu’Abderrazzak Sitaïl, éditorialiste du mensuel Les Afriques, peut-écrire à juste titre:

« De quel droit un juge français peut-il demander d’arrêter le représentant d’un Etat souverain en mission officielle? Certes, nul n’est au-dessus de la loi, mais les canaux diplomatiques ne manquent pas pour résoudre les problèmes concernant les personnalités en vertu du droit international et afin de préserver les bonnes relations entre Etats. Alors même que la Côte d’Ivoire coopère pleinement avec la justice internationale en acceptant de juger l’ex-président Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale de La Haye, ne faut-il pas s’interroger sur l’immixtion de la justice française dans cette affaire? Et comme par hasard, c’est la même juge qui a été à l’origine, l’année dernière, des tensions diplomatiques entre le Maroc et la France – dont les conséquences ont été graves pour les deux pays -, qui s’attaque aujourd’hui à l’une des figures les plus emblématiques et populaires du continent. L’Afrique et Guillaume Soro ne doivent pas subir de telles agressions d’une juge qui ne représente qu’elle-même. » ( Éditorial à paraître, le 17 décembre 2015, dans le numéro 339 du magazine Les Afriques ). 

La vulgate des trois Fronts, source d’inspiration de Madame Kheris…

Il faut aller jusqu’ à la mamelle nourricière de l’idéologie-Kheris. La juge Sabine Kheris, comme de juste, partage exactement les thèses rebattues par l’extrême-droite et l’extrême-gauche françaises sur l’actualité ivoirienne de ces dernières décennies. Selon la vulgate des Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, Gbagbo et son Front Patriotique Ivoirien seraient les vrais légataires naturels du peuple ivoirien, envahi par les hordes étrangères d’Alassane Ouattara, de Guillaume Soro et de la France sarkzozienne.  Gbagbo lui-même n’a-t-il pas mené sa campagne de 2010 sur le thème « Ouattara le candidat de l’étranger »?  Aucune surprise! L’égérie du Front National françaispartage avec la woody de Mama, un chauvinisme identitaire viscéral. De l’autre côté, Jean-Luc Mélenchon, l’ un des patrons du Front de gauche, qui souffre personnellement d’une profonde dépendance au sentiment de haine, prospère dans l’anti-capitalisme à tous vents, après s’être pendant longtemps accommodé de la social-démocratie libérale du Parti Socialiste français. Mélenchon voit en Ouattara le patron du capitalisme international en Côte d’Ivoire, érige Gbagbo en chantre de la souveraineté des peuples africains, au mépris des propres aveux d’un Gbagbo qui crie sur tous les toits que la France, le FMI et la Banque Mondiale ont amplement aidé le FPI à s’installer au pouvoir en octobre 2000, après des élections calamiteuses. 

La juge Sabine Kheris s’inspire sans doute de la vulgate des Trois Fronts, quand elle part d’un présupposé incroyable à propos de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Sans la prise en compte de ce présupposé vicieux, le reste de sa démarche perdrait toute intelligibilité. Quel est donc ce présupposé? Selon elle, « Gbagbo a été destitué » et non régulièrement battu lors d’élections démocratiques, inclusives et internationalement certifiées par les Nations Unies. Son raisonnement inductif est dès lors aisé à déconstruire. Si  donc Gbagbo a été destitué et non régulièrement battu aux élections présidentielles de 2010, il s’ensuit que les forces armées qui combattaient pour maintenir Gbagbo au pouvoir étaient légales et légitimes tandis que celles qui l’ont militairement vaincu en 2010-2011 sont des forces rebelles.  Par cette interprétation, Sabine Khéris procède à une inversion de statuts et de rôles dans l’analyse de la crise postélectorale ivoirienne. Les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, créées par décret du 17 mars 2011 par le président Alassane Ouattara deviennent dès lors des forces rebelles et Michel Gbagbo, dans cette logique se trouve conforté dans l’interprétation délirante selon laquelle son arrestation du 11 avril 2011 à Abidjan était plutôt un enlèvement arbitraire que le résultat d’une démarche légale et légitime de la république de Côte d’Ivoire contre ceux qui la menaçaient d’implosion dans une terrible guerre civile. Comment s’étonner dès lors qu’avec une telle lecture de l’histoire politique ivoirienne, où le mépris pour les victimes des deux décennies morbides de l’ivoirité est consacré, où les données tangibles de la défaite électorale de Gbagbo en octobre-novembre 2010 sont ignorées, et où les complaintes délirantes des avocats-militants Habiba Touré et Rodrigue Dadié leur valent pratiquement le maternage de la juge française, comment s’étonner diantre qu’une telle lecture biaisée de la crise ivoirienne conduise Madame Kheris à convoquer outrancièrement la seconde personnalité de l’Etat de Côte d’Ivoire dans un tribunal national français, et pour une affaire ivoiro-ivoirienne s’étant déroulée dans le territoire de Côte d’Ivoire? Comment s’étonner que la juge Kheris, se fondant sur une plainte contre X de Michel Gbagbo en soit à rêver de voir soumis à son interrogatoire Guillaume Soro, Alassane Ouattara et l’essentiel de la hiérarchie des forces républicaines de Côte d’Ivoire? Il faut à présent mesurer toute l’ampleur de l’audace judiciarisante de cette juge pour comprendre qu’on sera rarement allé aussi loin dans la fragilisation des liens d’estime et d’amitié exceptionnels qui lient de longue date la Côte d’Ivoire et la France. 

Tel sera l’objet de la deuxième partie de la présente tribune, qui abordera les points II et III de la démonstration annoncée en introduction.  Affaire à suivre demain soir, chers lectrices et lecteurs.

Par Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie

Paris, France

 

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