Le PDCI Peut-Il Quitter Le RDA ? (2ème partie) : Duel à Mort Entre PDCI-RDA et PDCI-National En Côte d’Ivoire

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« Ma grande déception est de voir qu’une partie de l’élite du PDCI-RDA est en train de s’associer aux obscurantistes du FPI pour mener ce combat d’arrière-garde qui consiste à vouloir exclure une partie de notre population »

Venance Konan, Fraternité Matin du 6 août 2013

« Nous sommes tous des apatrides »

Essy  Amara, ex-ministre ivoirien des affaires étrangères.

Dans la vie d’une organisation politique comme dans une existence individuelle, il y a des moments essentiels de réorientation, qui répondent précisément à des crises désorientant la vision du passé, du présent et de l’avenir. Les réponses apportées aux questions que soulèvent ces crises déterminent alors la mort ou la survie du sujet, sa redynamisation ou son entrée en léthargie. Dans la 1ère partie de la présente réflexion, sur « Les fondements sociohistoriques et idéologiques du PDCI-RDA »[1], je me suis attaché à montrer que né de l’initiative de la petite bourgeoisie agricole ivoirienne, le PDCI, en s’impliquant sous la houlette de Félix Houphouët-Boigny dans le vaste Rassemblement Démocratique Africain, se voulait avant tout comme un mouvement d’émancipation égalitaire des Africains au sein de l’Union Française, avant de se redéfinir comme un parti incarnant le projet d’autonomie des sociétés africaines par le travail, le dialogue, l’effort de justice et la culture de paix. Bien qu’empruntant à l’origine sa grammaire à la phraséologie des communistes français qui participèrent à la formation politique des Djaument, des Koffi Gadeau, comme de Félix Houphouët-Boigny lui-même, le PDCI fut, dans le pire des cas, un parti de centre-gauche, puis progressivement, un parti de la droite sociale, tel qu’on peut le voir aujourd’hui. Ni d’extrême gauche, ni d’extrême droite, le PDCI-RDA après le désapparentement du PCF en 1950, deviendra une formation politique au service du développement pragmatique de la Côte d’Ivoire et de la gestion consensuelle de l’intégration africaine. Or l’objet de la présente tribune est d’interroger le visage du PDCI-RDA aujourd’hui en 2013. Deux questions mènent notre enquête, d’autant plus que nous assistons, à la veille du congrès d’Octobre du PDCI-RDA, à la confrontation sous les têtes de proue d’Henri Konan Bédié (HKB) et de Konan Kouadio Bertin (KKB), de deux philosophies concurrentes du parti : 1) Quelles sont les figures contradictoires qui composent le visage idéologique du PDCI-RDA, aujourd’hui ? 2) Quelles sont les issues possibles de la confrontation entre la philosophie HKB et la philosophie KKB du PDCI-RDA ? Autrement dit, derechef,  le PDCI, à l’allure où vont les choses, peut-il quitter le RDA, ce Rassemblement Démocratique Africain qui fit son cosmopolitisme originel ?

I PDCI-RDA contre PDCI-National : cosmopolitisme versus nationalisme

La pensée RDA, je l’ai assez montré, est la traditionnelle perspective d’action politique du PDCI-RDA. Elle pense le pays en tenant compte du cosmos. Elle ouvre le compas de l’intelligence à la mesure du phénomène humain dans son ensemble. Elle consiste à tenir compte de ce que la Côte d’Ivoire est par essence une terre d’immigration, et que toute décision politique d’envergure prise en Côte d’Ivoire concerne par voie de ricochet toute la sous-région francophone ouest-africaine, dont elle est le principal poumon économique, puisqu’elle en représente 40% de la puissance. La pensée RDA s’appuie sur une réalité sociohistorique incontournable. Les Mandé, les Krou, les Voltaïques et les Akan, grandes composantes ethniques de la population ivoirienne, ont leurs tentacules et origines par-delà les frontières héritées de la colonisation. La politique consiste dès lors, dans sa hauteur vénérable, à comprendre la Côte d’Ivoire comme une image miniaturisée du cosmos africain. La pensée RDA – ou l’houphouetisme-  est un humanisme africain qui considère que le rôle de l’Etat ivoirien est de garantir les conditions de la paix et du progrès économique, lesquelles conditions permettront à leur tour d’affronter tous les enjeux du progrès social, de l’intégration africaine et de la stabilité politique. Cette vision de la Côte d’Ivoire comme laboratoire d’Afrique fut hautement incarnée par Félix Houphouët-Boigny avec courage et créativité, alors que la vision marxiste-léniniste des indépendances africaines la qualifiait de succédané de l’impérialisme. C’est elle que je désigne ici sous le vocable de « cosmopolitisme », et qui commanda qu’en 1966, Houphouët ait eu l’audace de proposer sans succès au Parlement de son pays, la reconnaissance du principe de double nationalité pour des centaines de milliers de résidents ivoiriens venus de la sous-région et qui avaient de fait élu patrie dans le pays.  Cosmopolitique, la perception de la Côte d’Ivoire comme image du monde de l’homme est la grandeur dont s’écartera momentanément Henri Konan Bédié dans les années 90, quand à la suite de ses conseillers intellectuels, il entonne le chant lugubre de l’ivoirité, dont il renoncera à répéter les refrains après son exclusion en 2000 de la présidentielle ivoirienne par le duo Guéi-Gbagbo. Henri Konan Bédié, devenu désormais le sage de Daoukro comme Houphouët l’était de Yamoussoukro, ira en 2005 dans une alliance avec Alassane Ouattara, fondant le RHDP qui est en réalité une reconstruction fragile du PDCI-RDA d’Houphouët-Boigny par le rassemblement du PDCI et du RDR notamment. En marche vers la refondation intégrale du parti que l’ivoirité avait conduit à l’implosion en 1994, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié représentent donc aujourd’hui le camp du cosmopolitisme ivoirien, enjeu majeur de la bataille présidentielle de 2015 qui ne s’annonce pas de tout repos. Une motion de soutien se réclamant de 80 députés du PDCI-RDA vient d’apporter précisément son soutien à la vision RDA et à celui qui l’incarne, Henri Konan Bédié. Comment se présente cependant l’autre visage du PDCI-RDA ? Tel un Janus Biface, il s’agit de son antithèse parfaite. Le parti d’Houphouët peut-il survivre à cette tension antinomique ?

Face à la pensée ouverte du PDCI-RDA, est en réalité apparue la pensée close du PDCI-National, incarnée par le député Konan Kouadio Bertin, dit KKB. Elle est une réinvention postcoloniale du nationalisme ivoirien. Son horizon s’inscrit dans ce que Jean-Pierre Dozon[2] appelle si justement le mythe éburnéen. Reprenant pour l’essentiel les thèses de l’ivoirité et s’adossant sur une alliance conjoncturelle plus ou moins explicite avec le FPI – tel le soutien de l’ex directeur de campagne de Gbagbo, Gnamien Konan- , la pensée du PDCI-National incarnée par KKB  considère que la vocation du PDCI est avant tout de défendre exclusivement les intérêts des Ivoiriens authentiques contre ceux qui, venus d’ailleurs par vagues assoiffées d’accaparement, veulent spolier les vrais Ivoiriens de leurs terres, de leurs emplois, de leurs institutions socioéconomiques, culturelles, et politiques. Le PDCI-National est le regroupement de ceux qui, anti-ADO par réflexe, considèrent que le coup d’Etat de 1999 était l’œuvre des étrangers décidés à s’accaparer le pays au détriment des nationaux ; que les lois érigées ou en projet sur l’égalité homme-femme, sur le foncier rural, sur la naturalisation des apatrides, sur l’homogénéisation monétaire sous-régionale ou sur la coopération serrée avec les Etats de la CEDEAO participent absolument de la sempiternelle dépossession des vrais Ivoiriens de leur pays. Pour tout dire, le PDCI-National s’appuie sur la même posture idéologique que le Front Populaire Ivoirien, formant, comme le dit si bien Jean-Pierre Dozon, un peuple « soudé autour d’une idéologie de l’autochtonie, doublée d’une posture de défense patriotique contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ainsi que d’une dimension messianique, et s’est rendu encore plus consistant par une mémoire collective lourdement chargée de ressentiments ».[3] C’est ce nationalisme postcolonial – que revendique KKB en raison de sa double parenté baoulé et dida/bété – qui constitue le socle de la xénophobie dogmatique d’une frange importante de la classe politique ivoirienne, balayant de l’extrême-droite nationaliste du PDCI-RDA à l’extrême-gauche nationaliste du FPI. Comment ce duel se soldera-t-il ? La vision cosmopolitique de la Côte d’Ivoire sera-t-elle défaite par la vision nationaliste ?

II Issues hypothétiques de la bataille entre PDCI-RDA et PDCI-National 

Comme dans les batailles napoléoniennes de la fin du 19ème siècle, deux camps antithétiques préparent fiévreusement le congrès d’octobre 2013, du PDCI-RDA. Le premier camp à faire feu dans la plaine a été celui du PDCI-National, ouvertement appuyé dans la manœuvre, par les stratèges de l’intoxication et de la caporalisation des masses du FPI, et en se revendiquant en outre une légitimité parlementaire, à travers quelques 25 à 37 députés selon les expectations de la Coordination[4] représentée par les honorables Kramo Kouassi, Dibahi Dodo, Ouegnin Yasmina, Soro Souagnon, et Sarre Gnépo Edmond. A partir d’une interprétation stricte des textes statutaires du PDCI-RDA qui prévoient une limitation à 75 ans de l’âge des candidats à la présidence du parti, à partir aussi d’une revendication urgente du renouveau idéologique et du bilan des années-Bédié à la tête du parti, les députés proches de KKB portent en réalité le fer contre ce qu’ils considèrent comme l’inféodation aggravée du PDCI au RDR et la reconstruction du RHDP sur les décombres de l’hégémonie naturelle du PDCI-RDA dans l’histoire de la Côte d’Ivoire depuis les Indépendances. Ce faisant, les députés du PDCI-National ne font-ils pas fi des raisons pour lesquelles le PDCI implosa avec la naissance du RDR en 1994 ? Ce faisant, KKB et ses alliés internes ne font-ils pas au fond route pour une nouvelle implosion du PDCI, vers la reconstitution d’une sorte de PDCI-FPI[5] qui ferait pièce au RHDP, lors de l’échéance cruciale de 2015 ?

La sortie des alliés parlementaires du leader du PDCI-RDA, Henri Konan Bédié, est une réplique majeure à la velléité de coup de feu du PDCI-National. Se revendiquant de 80 députés, la motion de soutien publiée par « Le groupe de 80 » sous la férule de l’honorable Louis Abonouan, Secrétaire du Groupe parlementaire PDCI-RDA, affirme la marginalité de la coordination des députés, en se fondant sur des critères quantitatifs et qualitatifs. Ouvertement appuyé par son principal allié dans le RHDP, à savoir le RDR du Président Alassane Ouattara, le PDCI-RDA qui fait motion pour Henri Konan Bédié revendique son cosmopolitisme comme l’identité idéologique originelle du PDCI, mais aussi le sens du dialogue, du consensus et de la pondération, comme les gages de la capacité du président  quasi octogénaire de conduire son parti vers un avenir heureux, dans le cadre apaisé et efficace de l’alliance du RHDP. Dans ce désaveu infligé au groupe des députés de la Coordination, dont le Groupe des 80 estime le nombre largement inférieur à la dizaine, ne s’annonce-t-il pas une rupture qui profitera, une fois de plus, tactiquement, à la vision politique xénophobe et identitaire dont le FPI s’était fait le champion de 2000 à 2013 ?

Il y a, à mon sens, trois issues hypothétiques à la bataille de contrôle du PDCI-RDA actuellement en cours. Chacune est à une longueur d’onde différente de l’âme cosmopolitique de la Côte d’Ivoire, cette « terre d’espérance, pays de l’hospitalité » que saluent si opportunément les premières strophes de son hymne national.

La première issue possible, et à mon sens probable, c’est le maintien du Président Bédié à la tête de ce parti, au prix des modifications statutaires et des inversions d’ordre du jour nécessaires à la réalisation de cet objectif, lors du Congrès 2013 que les hommes de Bédié semblent largement avoir sous contrôle. Peu de gens s’attarderont sur les pleurs de chaumières des victimes de cette machine. Dans l’hypothèse d’une telle reconduction, comment douter qu’en vertu de leur pacte de gouvernement commun de la Côte d’Ivoire, Henri Konan Bédié s’engage à soutenir dès le premier tour de la présidentielle 2015, la candidature unique de son frère Alassane Ouattara, avec qui tient mieux que jamais la réconciliation salvatrice de 2005 ? Dans cette hypothèse, l’on sait que ce sera le camp cosmopolitique ivoirien qui l’aura emporté, et que les deux têtes de proue du RHDP iront résolument vers la renaissance d’un parti unique de la majorité ainsi consolidée par deux victoires successives contre le FPI et tous les chantres de la pensée ivoiritaire. Cette issue me paraît être la seule à garantir à court et long terme la stabilité de l’émergence ivoirienne, à condition que tous les partis du RHDP prennent effectivement la mesure de leur représentativité politique réelle et limitent leurs ambitions en fonction de ce paramètre pour aller réellement vers la pleine renaissance moderne de l’idée houphouetiste. Il faudra seulement que prenant toute la mesure de la demande urgente de démocratie interne et de renouvellement politique venue d’une partie de sa jeunesse, le PDCI-RDA sous Henri Konan Bédié donne résolument une chance à l’avenir et à l’audace parmi les siens.

La seconde issue possible, c’est la victoire de la fronde du PDCI-National au congrès d’octobre 2013, avec en prime le regain de la pensée ivoiritaire dans le pays entier. Ce serait un véritable séisme politique en Côte d’Ivoire. Car comme le constate amèrement Venance Konan cité en exergue de la présente analyse, notre «  grande déception est de voir qu’une partie de l’élite du PDCI-RDA est en train de s’associer aux obscurantistes du FPI pour mener ce combat d’arrière-garde qui consiste à vouloir exclure une partie de notre population ». Si KKB et ses alliés gagnent la tête du PDCI-RDA, il faudra s’attendre à une série de conséquences fâcheuses en cascade. Evoquons-en quelques unes : la sortie du PDCI-RDA du gouvernement ne sera-t-elle pas inévitable, puisque l’allié gouvernemental qui s’annonce concurrent à la présidentielle suivante cesse d’être un partenaire de confiance ? La fin du processus de recréation d’un parti RHDP renouvelant l’idéologie cosmopolitique houphouetiste ne sera-t-elle pas l’annonce implicite d’autres conflits plus ou moins violents dans l’histoire prochaine de la Côte d’Ivoire ? Et quand il sera résolument entendu que les apatrides, les étrangers, les femmes, et autres groupes socialement marginalisés, trouveront porte close au PDCI-RDA, ne sera-ce pas l’abandon définitif de l’humanisme fondateur de ce grand parti historique ? Ne sont-ce pas tous les fruits du dialogue politique entrepris depuis 2002 en Côte d’Ivoire qui seraient remis en cause par la reconstitution potentielle d’une alliance politique entre le PDCI-RDA et le FPI contre le RDR ? L’histoire ne se fait pas en écrivant ses pages au brouillon.

Plaise aux lectrices et lecteurs de la présente tribune que j’affronte pour finir la question centrale de mes deux tribunes successives : « Le PDCI peut-il quitter le RDA ? » Ma réponse est, au regard de ce qui précède, claire et sans ambages : le PDCI ne peut quitter le RDA qu’en renonçant à sa propre quintessence, en conduisant au suicide l’idée généreuse et hospitalière de l’humain qui préside aux destinées temporelles de la Côte d’Ivoire depuis son apparition indépendante sous le magistère de Félix Houphouët-Boigny. République d’intégration africaine, la Côte d’Ivoire doit pleinement redevenir la locomotive de la modernité démocratique qui urge à travers le continent africain. Cette force morale, conjuguée aux succès économiques et politiques avérés de la dynamique consensuelle de dialogue enclenchée par le RHDP en 2005, me donne à croire que le PDCI ne se suicidera pas. Non, le PDCI ne quittera pas le RDA. Il devra, pour la postérité, le sublimer en œuvres de bonté, de vérité et de justice nouvelles. Il lui faut pour cela, redevenir le parti des forçats, le parti des exclus, des abandonnés, des apatrides, des marginaux, le havre de paix de la Veuve, de l’Orphelin, du Pauvre et de l’Etranger que le bon sens et la spiritualité bien comprise requièrent pour la sauvegarde de la Côte d’Ivoire. Il faut, maintenant, que le PDCI-RDA redise avec le ministre Essy Amara : « Nous sommes tous des apatrides ».

 



[1] « Le PDCI peut-il quitter le RDA ? » (1ère partie, Aux fondements sociohistoriques et idéologiques du PDCI-RDA) http://www.blogguillaumesoro.com/blog/suite-p.php?newsid=2970

[2] Jean-Pierre Dozon, Les clefs de la crise ivoirienne, Paris, Karthala, 2011

[3] Jean-Pierre Dozon, op. cit., p.131

[4] Voir dans presse.ivorian.net/informations/ ?p=2209&cpage=1, l’article «  Guerre au PDCI : 25 députés PDCI, dont Yasmina Ouégnin, disent NON à Bédié », du 30 juillet 2013. L’article comporte le texte de la « Lettre de la coordination des députés aux militants » que je ne commenterai point ici.

[5] L’intimité entre KKB et de nombreuses élites du FPI, n’est un secret pour personne. Blé Goudé en a livré la quintessence dans une vidéo célèbre dont voici le lien http://www.youtube.com/watch?v=zHQn-5GfqnY, sous le titre «  Blé Goudé dévoile les confidences de KKB ». La scène a lieu pendant le débat de la présidentielle 2010 à la RTI (Radio television ivoirienne).

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